Les cygnes tuberculés du Bois Français
(Saint-Ismier - 38 Isère)
Je sais qu'en abordant ce sujet, je vais forcément contrarier un certain nombre de personnes qui aiment venir nourrir les cygnes avec du pain.
Alors pour commencer, sachez que moi-même, par le passé, lorsque j'étais enfant puis jeune adulte, je faisais comme "tout le monde" avant d'en apprendre plus sur certains animaux dont les cygnes.
Mon propos n'a donc pas pour but d'interdire ou reprocher quoi que ce soit à quiconque. Il est juste là pour informer les personnes qui le souhaiteront, des raisons pour lesquelles donner du pain aux cygnes n'est pas forcément leur rendre service.
Nous autres humains n'avons pas forcément conscience des conséquences, à plus ou moins long terme, de nos actes les plus anondins en apparence.
Pourtant, le fameux "effet papillon" se cache souvent derrière des "petits riens"...
L'effet papillon --- pour les personnes qui ne le connaitraient pas --- c'est l'expression que l'on emploie pour dire qu'un acte, a priori très banal, peut créer au final de gros dégâts que l'on ne verra pas forcément, qui plus est.
C'est par exemple le cas du réchauffement climatique qui --- dû, au moins en partie, à l'activité humaine --- fait que certaines populations très loin de nous (l'Europe, la France) sont obligées de quitter leurs terres inondées par la montée des océans, pour essayer d'aller trouver refuge ailleurs.
Mais "l'effet papillon" c'est aussi, pour autre exemple, à seulement quelques kilomètres de chez nous (région grenobloise) le cas d'une population animale bien connue des randonneurs : les marmottes !
Marmotte aux aguets devant l'entrée de son terrier, dans le massif de Belledonne
Il existe à une trentaine de kilomètres de Briançon, un petit site touristique (le Mont Dauphin) qui abrite une colonie de marmottes. Si celle-ci se portait encore très bien à une époque déjà lointaine, où le tourisme était encore rare, ce n'est plus le cas depuis maintenant au moins 30 ans.
La raison en est malheureusement toute simple : les touristes nourrissent les marmottes tout au long de la saison estivale, afin de mieux les voir et/ou les photographier : la marmotte étant normalement un animal plutôt méfiant et "fuyant" lorsqu'on essaye de l'approcher.
Or, "l'effet papillon" que tous ces touristes ne verront malheureusement pas, c'est qu'à force d'être nourries avec un peu tout et surtout "n'importe quoi" les marmottes, non seulement déclenchent des maladies graves (eczéma, diabète, etc) mais surtout elles meurent loin du regard des touristes, durant l'hiver.
Pourquoi ? tout simplement parce qu'à force de manger ce que leur donne les touristes, elles ne mangent plus ce qu'elles devraient, à savoir l'herbe et les autres plantes qui permettront à leur corps de "fabriquer" et de "stocker" la bonne "graisse" qui, ainsi, leur permettra d'hiberner tout l'hiver durant.
Au lieu de ce "bon gras" indispensable à leur survie hivernale, elle emmagasine une "mauvaise graisse" qui, en plus de les rendre malades, ne leur permettra pas de "tenir" durant toute leur hibernation.
Le résultat final, que les touristes "nourrisseurs" ne verront pas, c'est que les marmottes se réveilleront au beau milieu de leur hibernation --- car n'ayant plus de "graisse" dans l'organisme --- et mourront alors lentement de faim, car n'ayant plus aucune "nourriture interne" à disposition pour tenir jusqu'au printemps...
Suite au déclin évident de cette petite colonie locale, une étude a été menée sur du long terme, et le constat final n'a guère était rassurant, puisqu'en seulement dix ans, la population a déjà chûté de moitié ; ce qui signifie que dans un futur extrêmement proche, il n'y aura définitivement plus aucune marmotte à observer sur ce site...
Et malheureusement, ce cas n'est pas isolé, puisqu'à seulement quelques kilomètres de là, à vol d'oiseau, les mêmes dégâts sont observés sur les marmottes habitant à proximité du lac Lauvitel, et ce malgré les panneaux invitant les randonneurs à ne pas nourrir les marmottes...
Ce problème de nourrissage inapproprié à la santé d'animaux sauvages --- ou même domestiques ! lorsqu'on donne, par exemple, du pain ou des carottes à des chevaux dans des prés --- se retrouve malheureusement de partout. Et comme déjà dit : les "nourrisseurs" de verront que trop rarement de leurs propres yeux, les morts que cela pourra entrainer...
Concernant les cygnes sauvages du Bois Français (ou d'ailleurs), il y a plusieurs raisons qui font que leur donner du pain (ou tout autre nourriture "humaine") peut s'avérer extrêmement mauvais pour leur santé :
1) parce qu'ils sont herbivores.
Ils ne sont donc "conçus" que pour manger des végétaux et non une alimentation "transformée" comme le pain.
Je me souviens d'avoir un jour discuté avec une dame qui, pleine de bonnes intentions, m'avait expliqué qu'elle ne leur donnait que du pain bio et qu'en plus, celui-ci contenait des graines.
Il était touchant de voir que cette personne avait pris soin d'essayer de prendre la meilleure qualité possible de pain. Malheureusement, pain bio ou non, avec ou sans graines, cela ne changeait rien. Car le pain est un aliment "transformé" et cuit n'ayant, qui plus est, absolument rien de "végétal" au final.
2) parce que le corps ou plus exactement l'appareil digestif et en particulier le foie des cygnes, ne sait pas "digérer" le pain.
Cela peut donc les rendre gravement malades (comme l'équivalent d'une cirrhose du foie) et entrainer leur mort à plus ou moins long terme. Ce qui peut, entre autres, expliquer la "disparition" soudaine de certains cygneaux
3) parce que le pain, une fois mouillé, peut développer des bactéries mortelles.
En Alsace, à Erstein, en mars 2019, une 30 aine de cygnes, pourtant adultes, sont morts d'avoir été nourris avec du pain... Et ce n'est pas une supposition, c'est une affirmation puisqu'au vu du nombre de morts, des autopsies auront été pratiquées et auront révélé le lien entre le pain et les bactéries qui auront tué tous ces cygnes de façon "foudroyante"... Vous trouverez ICI l'un des articles publiés à ce sujet.
Et ces bactéries, peuvent bien évidemment, "décimer" tous les autres animaux qui consommeront également du pain contaminé.
4) parce que c'est encore pire pour les petits cygnes (cygneaux) qui sont en pleine croissance, que pour les cygnes adultes.
Lorsque les cygneaux mangent du pain, celui-ci leur remplit très vite l'estomac (sans apporter ni vitamines, ni minéraux qui plus est) et les petits cygnes ne mangent alors plus suffisamment de la nourriture naturelle (comme les plantes aquatiques, par exemple) qui est nécessaire à leur bonne croissance et surtout à leur bonne santé.
Par conséquent, ce que vous ne verrez pas "extérieurement", c'est que cela pourra, non seulement les rendre gravement malades (comme déjà évoqué) mais également, leur créer des malformations au niveau des "os" des ailes : ce qui les empêchera de voler à vie et donc de fuir les prédateurs ou tout simplement de changer de lieu pour échapper à l'hiver et trouver plus de nourriture ailleurs que là où ils seront nés.
Dans les 2 cas (maladie ou malformation), cela les condamnera à mourir, sans même que l'on ne constate autre chose que leur disparition "soudaine"...
Et même s'ils ne meurent pas, les cygneaux qui auront mangé le plus de pain et donc le moins des végétaux nécessaires à leur bonne santé, seront forcément moins résistants pour mener leur vie future (voler, fuir, se défendre, résister au froid, etc). Ce n'est donc pas leur rendre service...
5) parce qu'en les nourrissant on "casse" leur rythme de vie.
Comme je l'ai expliqué à la rubrique "Ca mange quoi un cygne ?", la recherche de nourriture occupe une bonne partie de la journée des cygnes. Si on les nourrit régulièrement, ils n'ont alors "plus rien" à faire, ce qui peut créer des "troubles du comportement" comme, par exemple, de l'agressivité entre eux.
Par ailleurs, il n'est pas rare de voir des débuts de "conflits" entre cygneaux lorsqu'on les nourrit avec du pain, alors même que cela n'existe pas ou très exceptionnellement quand ils se nourrissent naturellement. Car leur jeter du pain, c'est un peu comme jeter des liasses de billets dans une foule humaine : on est certain de déclencher au mieux des "bousculades", au pire des bagarres.
6) parce que plus il y a de personnes qui nourrissent les cygnes avec du pain et plus le risque augmente de les rendre malades, voire de les faire carrément mourir.
Or, en une seule journée, il est extrêmement courant, été comme hiver, en particulier s'il fait beau, de voir les cygnes être nourris plusieurs fois par jour, par différentes personnes.
Si chacun était raisonnable, en se contentant de ne donner que l'équivalent d'un "guignon" coupé en petits morceaux, afin que chaque cygne puisse en manger un bout : cela serait nettement moins grave, voire sans réelle conséquence. Malheureusement, la plupart des "nourrisseurs" viennent donner de telles quantités de pain, que même après leur départ --- et celui des cygnes "gavés" --- le sol et/ou l'eau restent jonchés de morceaux de pains plus ou moins conséquents, comme Vous pourrez le voir sur la photo suivante.
Ce jour là, après avoir pris quelques photos, j'ai ramassé l'équivalent de quasiment TROIS baguettes de pain ! Et moins d'une heure après, sur une autre berge du lac, l'eau était recouverte d'une 30 aine de gros morceaux "ronds" de pain de mie (encore pire car il contient du sucre en plus du sel) destiné à faire des toats !
L'absurde de la situation étant que les cygnes n'ayant pas de dents, ils ne peuvent pas manger des morceaux de pain supérieurs à quelques centimètres. Donc le pain reste "à pourrir", avec tous les risques que cela implique (maladies, rats, etc)...
7) parce que cela peut entrainer la prolifération d'animaux considérés comme "nuisibles", tel que les rats, par exemple, qui eux sont prêts à manger, qui plus est, à peu près tout ce qu'ils trouveront.
Donc laisser, par exemple, des grosses tranches de pastèques (comme je l'ai déjà vu à plusieurs reprises durant l'été) sur le bord du lac, alors même que les cygnes ne peuvent pas les manger : c'est comme dire aux rats : "Venez par ici les petits !"...
Or, je ne suis pas sûre qu'il y ait beaucoup de promeneurs qui tiennent à voir des rats venir s'installer durablement ou même occasionnellement autour de leur lieu de promenade, même si fort heureusement ils sont plutôt rares au Bois Français à ce jour.
8) parce que le nourrissage des cygnes avec du pain, entraine également des répercussions sur les autres animaux du lac ; c'est le cas, au Bois Français, avec les ragondins ("cousin" du castor, végétarien lui aussi) qui prennent de plus en plus l'habitude (et donc le risque !) de "s'exposer" à des prédateurs pour essayer de venir manger, eux aussi, du pain.
9) parce que cela peut créer une dépendance pouvant être fatale à long terme lorsque l'hiver arrivera et que les gens ne seront plus là pour les nourrir, et/ou que les cygnes seront partis
Autrement dit, si des cygnes prennent trop l'habitude d'être nourris par des humains, lorsqu'il leur faudra se débrouiller seuls (une fois partis loin du lac) ils ne seront alors peut-être plus suffisamment aptes à se nourrir par eux-mêmes, car ils "attendront" (en vain !) que l'on vienne les nourrir, comme ils en avaient (pris) l'habitude durant le printemps et l'été.
S'il est vrai que cela est assez peu probable concernant les cygnes du Bois Français --- qui fort heureusement ne sont pas nourris "en permanence" --- cela peut l'être pour bien d'autres oiseaux (pigeons, mésanges, merles, tourterelles, et autres) que les gens nourrissent tous les jours de l'année, faisant ainsi perdre à l'oiseau l'habitude de se nourrir par lui-même et sainement ; or, lorsque les personnes "nourrisseuses" cessent, "du jour au lendemain", pour différentes raisons (financières, maladies, décès, peur de la grippe aviaire, etc) de nourrir un oiseau "sauvage" : elles le condamnent alors, dans la très grande majorité des cas, à mourir de faim, en particulier si le nourrisage cesse en plein hiver...
Enfin, dernière raison, purement "philosophique", si je peux dire cela ainsi, c'est que je me souviens d'un jour où une personne, non sans une certaine fièreté, m'a dit du cygne mâle qui était en train de manger le pain que cette personne lui jetait :
- "Des fois il traverse tout le lac pour venir me voir !"
Sauf qu'en réalité, le cygne ne venait pas voir la personne en question : il venait juste manger son pain...
Parce qu'il en va chez les animaux, de même qu'avec les êtres humains : les véritables relations ne s'achètent pas : elles se construisent avec du temps, parfois du renoncement à son propre intérêt ou plaisir recherché (nourrir une marmotte ou un cygne juste pour le voir "de prés"), de la confiance, de la compréhension, du respect et souvent, bien plus encore...
Alors laissons-les se nourrir selon leurs besoins et leur instinct : c'est l'un des meilleurs services que l'on puisse leur rendre pour qu'ils vivent le plus longtemps possible...
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